Hospitalité touristique : conceptualisation
et études de l’hospitalité des destinations et des maisons d’hôtes

par Yves CINOTTI
Thèse pour l'obtention du doctorat en sciences du tourisme,
sous la direction de Christian BATAILLOU

 

 

Résumé court

Résumé

L’hospitalité est un concept vaste, étudié par des disciplines nombreuses et diverses, qu’il faut distinguer de l’accueil et du service. En partant de la définition de l’hospitalité comme « le partage du “chez soi” », cette thèse montre que le tourisme est l’occasion de gestes d’hospitalité. Trois cadres de l’hospitalité touristique sont déterminés : le territoire, la résidence et l’organisation commerciale.

L’hospitalité touristique territoriale est perçue par les touristes étrangers, lors des rencontres avec les résidants (population locale, personnels en contact des organisations touristiques ou non) d’une destination et avec les supports de service. Le cas de la destination Guadeloupe est étudié et les dimensions de l’hospitalité touristique territoriale déterminées.

Les maisons d’hôtes proposent une hospitalité touristique à la fois domestique et commerciale. Plusieurs études qualitatives et quantitatives montrent que tous les propriétaires de maison d’hôtes ne sont pas hospitaliers et que l’« hospitaliérité », trait de caractère de ceux qui pratiquent l’hospitalité, est un antécédent de la satisfaction perçue par les clients d’une maison d’hôtes.

Mots-clés

Hospitalité touristique, accueil, destination, hospitaliérité, maison d’hôtes.

 

Abstract

Hospitality is a vast concept that has been studied by various disciplines. It has to be distinguished from welcome and service. Based on the definition of hospitality as “the sharing of one’s own home”, this thesis argues that tourism is the occasion of gestures of hospitality. Three frameworks of tourism hospitality are identified: territory, residence and commercial organization.

Territorial tourism hospitality is perceived by foreign tourists when they meet the residents (local population, service employees) of a destination and service facilities and equipment. A case study concerns a destination in the French West Indies, Guadeloupe. Dimensions of territorial tourist hospitality are determined.

B&B houses offer domestic and commercial tourist hospitality. Several qualitative and quantitative studies demonstrate that not all the owners of B&B house are in fact hospitable and that hospitableness, the trait possessed by hospitable people, is an antecedent of the satisfaction perceived by the guests in a B&B house.

Key Words

Tourism hospitality, welcome, destination, hospitableness, B&B house.

Résumé long

Le concept d’hospitalité intéresse depuis la fin du siècle dernier les chercheurs français dans les champs de la sociologie, de la philosophie, de l’histoire et de la littérature. Mais ceux-ci ne se sont guère intéressés à l’hospitalité dans le tourisme. Parallèlement, à partir des années soixante-dix, lorsque les professionnels américains de l’hôtellerie-restauration ont commencé à désigner leur secteur sous le vocable hospitality industry, toute une littérature en langue anglaise s’est développée autour du concept d’hospitalité. Mais les chercheurs anglophones ne parviennent pas à se départir de l’idée que l’hospitalité implique la fourniture d’un repas et/ou d’une boisson et/ou d’un hébergement.

Cette thèse en sciences du tourisme se focalise sur le lien entre tourisme et hospitalité. La question de départ est la suivante : peut-on parler d’hospitalité dans le cadre des activités touristiques ? Partant de l’idée de Paul Ricœur (1998) et Telfer (2000) que l’hospitalité est le « partage du chez-soi », cette thèse cherche à identifier des gestes d’hospitalité effectués en direction (et reçus par) des touristes. Des interrogations aussi bien conceptuelles que managériales émergent alors : quels sont les acteurs de l’hospitalité touristique ? Peut-on distinguer accueil et hospitalité ? L’hospitalité ne s’adresse-t-elle qu’à l’étranger ? Qui est étranger ? Quelles sont les dimensions de l’hospitalité ? Peut-on améliorer l’hospitalité ? Suffit-il de fournir un hébergement, un repas ou une boisson pour être hospitalier ? Le fait qu’un service touristique soit payant est-il contraire à l’esprit de l’hospitalité ? Tous les hôtes sont-ils hospitaliers ? Pour aborder ces questions, plusieurs angles sont adoptés : l’hospitalité d’une destination touristique et l’hospitalité d’une organisation touristique (avec un focus sur les maisons d’hôtes), mais aussi l’hospitalité reçue et l’hospitalité offerte. Finalement, la problématique centrale de cette thèse est : Qu’est-ce qu’être hospitalier avec un touriste ?

Cette thèse est composée de dix chapitres structurés en trois parties. La première d’entre elles est une revue de la littérature qui permet de définir les cadres dans lesquels pourrait se déployer l’hospitalité touristique. La seconde partie se focalise sur l’hospitalité des destinations touristiques. Elle comporte deux études qualitatives qui permettent de préciser la notion d’étranger, de discerner les acteurs de l’hospitalité touristique territoriale et de définir les dimensions de celle-ci. Dans la troisième partie, l’hospitalité pratiquée dans les maisons d’hôtes fait l’objet de plusieurs études quantitatives et qualitatives.

Première partie – Les cadres de l’hospitalité

De nombreuses définitions de l’hospitalité sont recensées, provenant aussi bien de dictionnaires que d’écrits de chercheurs et de littérateurs. La définition retenue dans cette thèse est celle de Ricœur (1998) et Telfer (2000) : « l’hospitalité, c’est le partage du chez-soi ». Cette définition évite de lier absolument l’hospitalité à la fourniture d’un toit et/ou d’une boisson et/ou d’une nourriture. Les termes de la définition adoptée sont détaillés dans la première partie : le partage et les « chez-soi ».

L’hospitalité implique de la générosité de la part de celui qui la pratique et de nombreux chercheurs français soutiennent l’idée que l’hospitalité est nécessairement gratuite. Mais Mauss (1923) estiment que les gestes d’hospitalité ne sont pas réellement libres et désintéressés se demande si la distinction entre, d’une part, l’obligation et la prestation non gratuite et, d’autre part, le don n’est pas récente (ibid., p. 229). C’est aussi la position de Cova et Giannelloni (2008) pour qui « l’opposition hospitalité traditionnelle/hospitalité marchande est plus fantasmée que réelle ». D’ailleurs, l’hospitalité ne donnant pas lieu à un échange monétaire a-t-elle toujours été désintéressée ? Il s’agissait parfois de neutraliser les pouvoirs maléfiques de l’étranger ou de s’attirer les faveurs d’un partenaire économique potentiel ou d’améliorer la réputation de sa maison (Raffestin, 1997 ; Gotman, 2001, p. 54 ; Pérol, 2004). Pratiquer l’hospitalité c’est aussi recevoir, peut-être, à son insu, un dieu ou un ange ou obéir aux dieux ou à Dieu (Grassi, 2001). Alors pourquoi le contre-don du geste d’hospitalité ne serait-il pas parfois l’argent ? Telfer (2000) remarque que considérer qu’un hôte ne pratique pas l’hospitalité simplement parce qu’il est rémunéré revient à dire que « les médecins ne peuvent pas être dits compatissants avec leurs malades du fait qu’ils sont rétribués pour soigner ceux-ci ». Certains chercheurs ne parviennent pas à imaginer des gestes d’hospitalité en direction des touristes. Néanmoins cette thèse cherche à démontrer qu’un individu peut vivre des expériences d’hospitalité au cours de ses activités touristiques.

Godbout (1977) insiste sur le lieu de l’hospitalité : « L’hospitalité, c’est recevoir chez soi et être reçu par quelqu’un chez lui, dans son espace » Le « chez soi » ce peut être ma ville ou ma région, ma maison ou mon entreprise. On peut donc distinguer trois formes d’hospitalité touristique :

  1. L’hospitalité territoriale – que l’on peut aussi qualifier de « méta-hospitalité » – recouvre les gestes hospitaliers des résidants (professionnels ou non) d’une destination vis-à-vis des touristes étrangers.

  2. L’hospitalité domestique consiste à partager sa résidence avec un touriste. C’est le cas, par exemple, des personnes qui reçoivent des couchsurfers ou des adolescents lors d’un séjour linguistique ou des enfants de milieu défavorisé.

  3. Le troisième type d’hospitalité est l’hospitalité commerciale qui est assez rare, car il faut distinguer l’hospitalité de l’accueil et du service. En effet, dans les hôtels modernes, du fait de l’industrialisation, il n’existe pas de « partage du chez soi » puisque le client n’est pas « chez l’hôtelier », sauf peut-être dans quelques petits hôtels familiaux. Dans les restaurants, puisque les clients ne partagent pas le repas du restaurateur, comme autrefois dans les auberges, on ne peut pas parler d’hospitalité.

Deuxième partie – Hospitalité des destinations

Deux approches sont envisagées dans cette partie : l’hospitalité donnée et l’hospitalité reçue.

Dans une étude de cas concernant la Guadeloupe, la vision des résidants est privilégiée. À partir de l’analyse de contenu de 23 entretiens semi-directifs, il est démontré que les acteurs de l’hospitalité touristique d’une destination (population locale, prestataires de services touristiques et non touristiques) ont conscience de leur rôle. Mais les rapports des résidants en Guadeloupe avec les touristes sont complexes, car le touriste blanc est assimilé aux anciens colonisateurs.

D’autre part, une étude exploratoire, fondée sur l’analyse de commentaires de touristes sur un site Web participatif et d’entretiens semi-directifs avec des personnes ayant voyagé dans une destination étrangère, permet de discerner trois dimensions de l’hospitalité touristique territoriale : absence d’hostilité, effort vis-à-vis des étrangers, effort linguistique.

Finalement, en partant du constat du déficit d’accueil et d’hospitalité de la destination France, les moyens pour améliorer l’hospitalité d’une destination sont listés : actions auprès des prestataires de services et des organisations touristiques et non touristiques, sensibilisation de la population locale, actions auprès des touristes et lutte contre le harcèlement des touristes.

Troisième partie – Hospitalité des maisons d’hôtes

Les maisons d’hôtes, dont le nombre a beaucoup augmenté depuis 20 ans, proposent une hospitalité à la fois domestique et commerciale ainsi que l’hospitalité territoriale lorsque des touristes étrangers sont accueillis. La troisième partie compte six études :

1.  Un questionnaire quantitatif a été administré auprès de propriétaires de maison d’hôtes (n=463). Il permet tout d’abord de repérer les gestes d’hospitalité : pot d’accueil, repas en commun, conseils touristiques, cadeau, échanges après le séjour. Les répondants affirment qu’ils considèrent les touristes plus comme des hôtes que comme des clients.

2.  Des présentations de maisons d’hôtes rédigées par des propriétaires et mises en ligne sont étudiées. L’analyse automatisée des données textuelles à l’aide du logiciel Alceste révèle que les propriétaires insistent surtout sur les caractéristiques de leur maison et abordent peu l’hospitalité qui y est pratiquée.

3.  Les motivations des propriétaires pour tenir une maison d’hôtes sont étudiées à l’aide d’un logiciel de statistique implicative (CHIC). Si les contacts avec les hôtes-clients sont mis en avant, il apparaît qu’il s’agit d’une façade. La liberté procurée par la tenue d’une maison d’hôtes semble une motivation sous-jacente.

4.  Afin de réaliser une typologie des propriétaires de maison d’hôtes, à l’aide de la méthode des nuées dynamiques, une échelle de mesure de l’« hospitaliérité » a été développée en suivant la procédure C-OAR-SE (Rossiter, 2002). L’« hospitaliérité » (hospitableness) est définie comme « le trait de caractère de ceux qui pratiquent l’hospitalité ». Trois classes de propriétaires émergent. L’une d’entre elles est constituée d’individus peu hospitaliers et dont l’objectif est plus commercial.

5.  Une étude des adresses électroniques adoptées par les propriétaires de maison d’hôtes montrent que ceux-ci ne mettent pas assez en avant leur nom et/ou prénom, si bien qu’ils ne montrent pas à l’« hospitaliérité ».

6.  L’impact de l’« hospitaliérité » sur la satisfaction est étudié à partir de commentaires, sur deux sites Web participatifs, de touristes ayant séjournés en maison d’hôtes. Il apparaît que l’« hospitaliérité » d’un propriétaire de maison d’hôtes est un des antécédents de la satisfaction.

Conclusion

Cette recherche présente un intérêt aux plans conceptuel et managérial. Elle permet d’éprouver le cadre théorique proposé par les chercheurs qui, dans des disciplines très diverses, ont abordé la question de l’hospitalité afin de préciser les cadres de l’hospitalité touristique. Elle vise à délimiter les concepts d’accueil et d’hospitalité et à discerner les acteurs impliqués sur lesquels les organisations chargées du marketing d’une destination pourraient agir. Des enquêtes qualitatives et quantitatives sont menées auprès de propriétaires de maison d’hôtes et une typologie de ceux-ci réalisée à partir d’une échelle de mesure de l’« hospitaliérité » (hospitableness). L’hospitalité d’autres acteurs du tourisme est aussi envisagée : hôtels, restaurants, fermes auberges, monastères, couchsurfers, greeters, touristes échangeant leurs maisons, etc. Au plan managérial, des préconisations pour améliorer l’hospitalité d’une destination touristique sont avancées. Les éléments concourant à l’« hospitaliérité » d’un propriétaire de maison d’hôtes sont dégagés.

Cette thèse s’appuie sur une bibliographie comportant 371 références dont 171 en anglais, dans les domaines du marketing, de la sociologie, de la philosophie, de la théologie, de l’histoire, de la littérature et, bien sûr, des sciences du tourisme.

Quelques références bibliographiques


Thèse